Apparu dans Tribune: L’Express du 1er mai 2019

L’homophobie : la manifestation [souvent étatique] de l’intolérance

Par Najeeb Ahmad Fokeerbux

2019, une société moderne, unie, progressiste, avant-gardiste… ou presque. Le rêve d’une République mauricienne arc-en-ciel haut en couleurs culturelles, religieuses, identitaires, politiques et historiques; rêve d’un ensemble sur cette île au milieu de nulle part. Je suis un Mauricien, musulman, issu d’ancêtres de la Grande Péninsule, le fils et frère d’une famille modeste, un fier campagnard aux idéologies politiques et au rêve d’une vie villageoise où les voisins d’identités diverses et plurielles se serrent souvent les coudes, enfant prodigue qui contribua à la gloire de son collège. Rien de plus «normal» pour un fils du sol. Nous pouvons tous ressentir cette appartenance, ce reflet, et cette aspiration légitime des milliers de Mauriciens et Mauriciennes.

En creusant sous ces identités visibles et «normales», nous arrivons à apercevoir, avec nos lunettes aux verres imbibés des préjugés, une identité sexuelle hors norme – homosexuel, lesbienne, bisexuel ou transgenre. Et aussitôt, le Mauricien n’est plus Mauricien, le musulman devient un «harami» (un pécheur), le fils se voit déshérité et l’enfant prodigue ne l’est plus. Comment et pourquoi tant d’hostilité envers des gens à la sexualité différente ?

Au cours de la semaine écoulée, la presse a fait état de l’intolérance violente et abusive envers des filles lesbiennes par leurs proches et ce, en présence des policiers. Les militants LGBT qui étaient sur place ont aussi pris leur lot d’insultes pour avoir voulu venir en aide à un couple lesbien et les aider à vivre une vie loin du rejet familial et loin de l’intolérance. Or, avec la complicité des forces de l’ordre, ce fut une mission impossible !

Cette impuissance, cette inaction et cette léthargie des autorités policières, nous les avons trop souvent vues durant la Pride de 2017 et 2018 ou quand les personnes LGBT vont chercher de l’aide en raison de menaces de mort qu’elles reçoivent ou sont victimes d’homophobie malgré l’existence de certaines lois et une Constitution qui garantit les mêmes droits à tous les Mauriciens.

En 2016, des amendements au Protection from Domestic Violence (amendment) Act ont été votés avec pour objectifs principaux d’octroyer plus de pouvoir aux autorités afin qu’elles puissent faire prévaloir la loi en cas de violence domestique mais aussi pour élargir la définition de l’expression «violence domestique». Or, il semblerait que la loi ne s’applique pas aux personnes LGBT ? Il se peut qu’aux yeux des autorités, une personne LGBT peut se faire tabasser, violenter, abuser, menacer… mais ne peut être victime de violence domestique de la part des familles parce qu’il s’agit d’un couple lesbien ? Où sont les autorités responsables de faire respecter les droits de la femme ? Est-ce à dire que quand quelqu’une est lesbienne, elle n’est plus une femme ?

Et que faisons-nous des droits constitutionnels ? Comme ceux d’avoir le droit de jouir des libertés fondamentales, du droit à la vie, du droit d’être protégé des traitements inhumains, du droit de pouvoir être protégé par la loi et la non violation de la liberté d’expression.

Ce sont des discours creux, qui font rêver, surtout la communauté LGBT mais ce sont des lois sans force de loi vis-à-vis de l’homophobie grandissante. L’inaction des autorités homophobes et transphobes laisse présager un avenir sombre pour les personnes LGBT. Il est temps que la communauté LGBT victimisée et les Mauriciens qui donnent des leçons se réveillent…

Najeeb Ahmad Fokeerbux
Chairperson, Board of Directors de l’African Queer Youth Initiative
et fondateur du Young Queer Alliance

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