Article apparu dans l’express du 07 mai 2022

Questions à Me Isabelle Schoenacker-Rossi, membre du conseil d’administration d’Avocats Sans Frontières France: «Surprise que des Mauriciens demandent le droit d’asile en France»

Me Schoenacker-Rossi, avez-vous été surprise de voir des Mauriciens demander le droit d’asile en France ?

Oui, j’ai été surprise, d’autant plus que je connais Maurice pour y être venue en 2001. Je n’aurais jamais pensé qu’un jour, ASF France pourrait être saisie par des Mauriciens demandeurs d’asile en raison de la violation de leurs droits humains.

Dans quels pays étrangers ASF France intervient-elle ?

Dans plusieurs pays africains comme la Côte d’Ivoire, le Mali, le Nigéria mais aussi à Haïti, au Cambodge. Ces interventions sont généralement contre la peine de mort et les arrestations arbitraires et nous formons et sensibilisons des magistrats, des avocats, des policiers et des employés du service pénitencier sur les droits humains. A ASF France, nous avons un projet baptisé Lutte contre la discrimination basée sur l’orientation sexuelle et l’identité du genre (LUDOSIG) dont la mission est la protection des personnes vulnérables et en particulier les personnes LGBTQIA+. Dans certains pays d’Afrique, l’homosexualité est criminalisée, par exemple elle l’est au Cameroun où nous intervenons. Le pays africain où les personnes LBTQIA+ sont les plus mal loties c’est le Nigéria.

Vous êtes venue à Maurice dans quel cadre ?

Il y a deux ans, la Young Queer Alliance a demandé à ASF France d’établir un rapport sur le droit d’asile des personnes LGBTQIA+ mauriciennes en Europe. J’ai été sollicitée dans le cadre de l’élaboration de ce rapport,

qui a été présenté en décembre 2020 à Maurice et je suis intervenue en visioconférence. Les données du rapport ont ensuite été collectées en France par l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) et par la Cour Nationale du Droit d’Asile, organes uniques en région parisienne, qui gèrent les demandes de droit d’asile en France. C’est au cours de l’élaboration de ce rapport que j’ai été surprise de voir autant de Mauriciens être demandeurs d’asile. Une dizaine de demandes sont formulées annuellement en France et plusieurs acceptées. L’OFPRA estimait à 40 le nombre de Mauriciens placés sous sa protection en 2020 alors qu’il était de dix en 2016. Nous constatons que ce sont en particulier des Mauriciens LGBTQIA+ qui en sont demandeurs pour violations de leurs droits humains dans leur pays d’origine. Et c’est sans compter les Mauriciens LGBTQIA+ qui en font la demande au Royaume Uni et en Suisse. Les instances de ces pays ne nous communiquent pas leurs chiffres mais nous font parfois part des décisions prises à leur sujet. Rien que pour le mois d’avril en France, à notre connaissance, il y avait trois cas de demandes d’asile de Mauriciens LGBTQIA+ en cours d’instruction auprès de l’OFPRA. Quand on parle de violations des droits humains des personnes LGBTQIA+, cela concerne généralement l’accès aux soins qui pose problème, c’est par exemple, l’impossibilité d’accéder à la chirurgie de réassignation sexuelle ou aux soins accessoires pour les personnes transgenres, l’impossibilité pour deux personnes du même sexe de se voir juridiquement reconnaître leur union et l’article 250 du Code pénal mauricien, qui criminalise la sodomie entre adultes consentants.

Mais cette section du Code pénal est rarement appliquée, pour ne pas dire jamais ?

S’il est vrai que les autorités disent que la section 250 n’est pas appliquée entre adultes consentants, sa simple présence dans la législation est comme une épée de Damoclès sur la tête des personnes concernées. Et rien n’empêche des arrestations et discriminations sous cette section 250 du Code pénal. Et ce traitement peut être infligé par les policiers, qui ne sont pas forcément formés à avoir une attitude protectrice. Je prends l’exemple de la Marche des Fiertés organisée à Port-Louis en 2018 et qui a vu une contre-manifestation et tous les opposants n’ont pas été arrêtés par la police, qui n’a pu protéger les marcheurs pacifiques. Ce jour-là, la liberté d’expression a été bafouée car les droits humains des personnes LGBTQIA+ n’ont pas été protégés et elles ont été victimes de traitements humiliants et dégradants au sens de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

La convention relative aux réfugiés fait-elle état de la protection des droits humains des personnes LGBTQIA+ ?

La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés ne mentionne pas spécifiquement les personnes LGBTQIA+ mais l’évolution de cette convention fait que les organes qui la gèrent estiment que ces personnes appartiennent à un groupe social et qu’à ce titre, elles méritent le statut de «réfugiées» du moment qu’elles sont à risque d’être persécutées. L’Etat mauricien figure sur la liste des pays d’origine sûrs de l’OFPRA, notion introduite en 2003 et relative aux garanties de protection que les autorités des pays qui s’y trouvent, offrent contre les persécutions et les mauvais traitements. Ils étaient 16 pays à y figurer en 2015 dont Maurice et ils ne sont plus que 13, les trois à avoir été enlevés de cette liste étant le Sénégal, le Bénin et le Ghana, justement à cause des violations des droits de minorités sexuelles. Chaque année, le conseil d’administration de l’OFPRA revoit cette liste à la lumière des développements en matière de droits humains dans ces pays.

Quels sont les avantages pour les demandeurs d’asile d’être originaires d’un des pays figurant sur cette liste ?

Le demandeur d’asile venant d’un de ces pays voit l’examen de sa demande placée en procédure accélérée (ce qui ne lui donne parfois pas assez de temps pour réunir toutes les preuves) et durant tout le temps pris par les autorités pour statuer sur cette demande, le demandeur bénéficie d’une allocation qui lui permet de vivre et de rester dans le pays d’accueil. Plusieurs députés français ont demandé à ce que Maurice ne figure plus sur la liste des pays d’origine sûrs de l’OFPRA. En 2019, les députés Danièle Obono et Raphaël Gérard ont officiellement demandé la radiation de Maurice de cette liste de l’OFPRA eu égard aux persécutions subies par les minorités sexuelles dans l’île. En décembre 2021, le député Pacôme Rupin de la septième circonscription de Paris a formulé une demande similaire à Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères. Il y a régulièrement des questions à ce sujet à l’Assemblée nationale française et une personne LGBTQIA+ mauricienne, qui a fait une demande de droit d’asile en France, a récemment formulé la même requête auprès de l’OFPRA.  Quand un pays figure sur cette liste, la demande d’asile de son ressortissant est placée en procédure accélérée, soit environ six mois. Si Maurice est radié de cette liste, la procédure d’examen du dossier du demandeur d’asile mauricien prendra plus de temps et l’Etat français devra subvenir aux besoins de cette personne jusqu’à ce que le résultat final soit obtenu. Et ça, l’Etat français ne le veut probablement pas. Depuis que le Sénégal a été retiré de cette liste des pays d’origine sûrs de l’OFPRA, il y a davantage de demandeurs d’asile de ce pays africain en France. Nous avons également constaté qu’il y avait moins d’investisseurs français au Sénégal, soucieux de leur image de tolérance, d’inclusion et de diversité. Ils délocalisent leurs activités vers d’autres pays plus inclusifs.  Et la radiation de Maurice de cette liste sera très mauvaise pour sa réputation et pour les investisseurs étrangers, ainsi que pour le climat des affaires en général. Nous avons même été informés de difficultés rencontrées par des investisseurs LGBTQI+ étrangers à Maurice. D’autres ne veulent tout simplement pas venir à Maurice pour cette raison car leurs droits humains ne seront pas respectés.

Certains estiment que les personnes demandeuses du droit d’asile agissent ainsi pour améliorer leur situation économique ?

Je ne le crois pas. On ne peut mentir sur cette question car l’OFPRA fait un examen minutieux de chaque demande d’asile avec des interrogatoires. Ensuite, les personnes qui pensent cela ne réalisent pas ce que l’obtention du statut de réfugié veut dire dans la pratique pour son demandeur. Cela signifie que cette personne ne pourra plus jamais retourner dans son pays d’origine, pas même pour des vacances et qu’elle devra se sevrer de ses racines et ne plus revoir ses proches.

Après toutes ces visites, avez-vous l’impression qu’il y a eu une évolution dans la situation des personnes LGBTQIA+ à Maurice et plus largement dans celle des droits humains ?

Je n’ai pas le sentiment qu’il y ait eu une évolution importante par rapport à 2020. Même s’il y a des intentions de réformes, il n’y a pas de calendrier fixé pour celles-ci. L’ASFF restera attentif et saluera toute évolution positive en faveur des droits humains. Le hasard a fait que je sois à Maurice lorsque le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Barreau de Maurice, Me Yatin Varma, ait été bousculé par des policiers alors qu’il venait d’obtenir un jugement favorable de la Cour suprême pour son client. J’ai été choquée de cela. Quand un avocat est malmené par la police, cela renforce le sentiment d’insécurité par rapport aux droits humains. Me Varma a obtenu le soutien sans réserve d’ASF France qui a alerté le Conseil national des Barreaux français, qui comprend plus de 70 000 avocats et la Conférence internationale des Barreaux. ASF France a d’ailleurs émis un communiqué demandant à l’Attorney General et au DPP d’enquêter sur la plainte de Me Varma avec la plus grande diligence, qu’il n’y ait plus d’atteinte à la profession d’avocat, que leur indépendance soit respectée et que les droits de la défense et les décisions de justice soient respectés de manière générale. Cette attitude de la police est la marque d’une problématique particulière, à savoir une absence de respect du droit et indique que l’exécutif ne respecte pas les décisions de justice.

Propos recueillis par Marie-Annick Savripène

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